
LE MAUVAIS TEMPS
– Plòu mai, acò m’enfèto…
– Iéu tambèn, acò m’enfèto, e mi douno meme lou mourbin ; mai lou fau bèn supourta, que fa de bèn à la terro.
– Tu, poues parla ‘nsin, que siés peisan, mai nàutrei, lei gènt de la vilo, quand plòu, sabèn plus mounte sian : chascun pren sa vouaturo pèr ana travaia vo mena leis enfant à l’escolo e lei carriero soun tant cafido que si pòu plus faire avans.
– Acò 's verai que vautre poudès pas ana sènso l’autò, dóu tèms que nautre anan d'à pèd.
– Segur que poudès ana d'à pèd, avès lou travai à l’oustau, vous sufis de passa la pouarto pèr capita dins lei champ ! Alor, la plueio, vous n’en garças un pau.
– Vaqui bèn lou biais de pensa dei gènt de la vilo ! S’imaginon pas, élei, ce qu’es la campagno quouro plòu : la terro es touto bagnado, t’enfangues fin qu’ei caviho, as toustèms lou vièsti trempe sus lou cors, talamen que lou sèntes plus. E pamens l’obro, la fau coumpli, que, se siés tardiéu, lei caulet van mounta, leis ensalado escalaiaran, e lei poudras pas chabi. E t’esplìqui pas tout ce que si gastara sus pèd ; lou jitaras e n’en saras pèr tei fres.
– Es verai qu’à la vilo vesèn pas lei cavo coumo acò. Chascun pènso à se e vis lou soulèu que pèr un trau. Mai m’ensouvèni de moun grand qu’èro peïsan coumo tu. Èri bèn pichoun, mai quand li diguèri que vouliéu faire garagiste, éu mi respoundè qu’avièu bèn rasoun e que valié mies agué lei man dins lou camboi que lei pèd dins la fango. E pamens èro amourous de la terro e quant de còup l’ai entendu dire : « Elo a pas coume lei frumo, mente pas ». Es verai, e es tant vièi que ti va pouédi dire, que la grand ti l’avié fa pourta de bano !... Basto, qu’en pas siegon élei dous. Mai d’acò, n’en parles jamai à meis enfant, qu’an couneissu la rèire-grand e que la tènon pèr uno santo.
– Es counvengu, li dirai pas. Mai d’aquelo plueio ! Nous anavian charpina à prepaus d’elo e dei vilo e dei campagno, e vaqui que mi fas de counfidènci sus tei vièi. Tè, anan béure enca’n còup à soun souveni. Acò nous rescaufara…Santa !
Jan-Pèire MAZET
– Il pleut encore, ça m’embête…
– Moi aussi, ça m’embête, ça me donne même la haine ; mais il faut bien le supporter, ça fait du bien à la terre.
– Toi, tu peux parler ainsi, tu es paysan, mais nous, les gens de la ville, quand il pleut, nous ne savons plus où nous sommes : chacun prend sa voiture pour aller travailler ou mener les enfants à l’école, et les rues sont tellement encombrées qu’on ne peut pas avancer.
– C’est vrai que vous, vous ne pouvez pas aller sans l’auto, pendant que nous nous allons à pied.
– C’est sûr que vous pouvez aller à pied, vous avez le travail à la maison, il vous suffit de passer la porte de la ferme pour vous trouver dans les champs ! Alors, la pluie, vous vous en foutez un peu.
– Voilà bien la façon de penser des gens de la ville ! Ils ne s’imaginent pas, eux, ce que c’est la campagne quand il pleut : la terre est toute trempée, tu t’y embourbes jusqu’aux chevilles, tu as sans cesse les vêtements mouillés sur le corps tellement que tu ne le sens plus. Et pourtant il faut accomplir l’ouvrage, car si tu tardes, les choux vont monter, les salades allonger en tige et tu ne pourras pas les écouler. Et je ne t’explique pas tout ce qui se gâtera sur pied ; tu le jetteras et tu en seras pour tes frais.
– C’est vrai qu’à la ville nous ne voyons pas les choses comme ça. Chacun pense à soi et ne voit le soleil que par un trou. Mais je me souviens de mon grand-père qui était paysan comme toi. J’étais bien petit, mais quand je lui dis que je voulais être garagiste, il me répondit que j’avais bien raison et qu’il valait mieux avoir les mains dans le cambouis que les pieds dans la fange. Et pourtant il était amoureux de la terre et combien de fois l’ai-je entendu dire : « Elle n’a pas comme les femmes, elle ne ment pas ». C’est vrai, et c’est si vieux que je peux te le dire, la grand-mère elle te lui en avait fait porter, des cornes !... Bah, qu’ils reposent en paix tous deux. Mais de cela n’en parle jamais à mes enfants, ils ont connu l’arrière- grand-mère et ils la considèrent comme une sainte…
– C’est convenu, je ne le leur dirai pas. Mais cette pluie ! Nous allions nous fâcher à son propos et des villes et des campagnes, et voilà que tu me fais des confidences sur tes anciens. Tiens, nous allons boire encore un coup à leur souvenir. Ça nous réchauffera… Santé !
Jean-Pierre MAZET