
L'AI DE BOUZIGO
Es pas toujour eisa de counouisse l'óuregino d'uno espressien. Lei linguisto vous va diran. A Sant-Andriéu, moun quartié, ai toujour entendu dire pèr parla de quaucun que venié de mouri : " a fa coumo l'ai de Bouzigo ".
– « Bouzigo ? » mi venguè un jour moun paure paire-grand, « es moun grand-pèro ! »
Adounc, l’istòri que veicito es vertadiero. La tèni de moun grand. Es un troues de vido de soun paire-grand… e de soun ai.
Marius, moun rèire-rèire-grand, neissu en 1867 èro l’einat d’uno vièio e grando famiho de Sant-Andriéu. Avié un faus-noum que Diéu soulet saup de mounte lou tenié : Bouzigo. Bouzigo èro carretié e avié dins sa bastido (uno dei mai grosso dóu quartié) quatre vo cinq chivau e un ai : l’ai de Bouzigo.
Dins soun travai de cade jour, Bouzigo carrejavo de tout, de Sant-Andriéu à Mourrepiano, de Mourrepiano à l’Estaco, de l’Estaco à Sant-Andriéu. De còup que l’a, un gros vià gi que demandavo touto uno journado dóu leva au coucha dóu soulèu, menavo bèsti e carreto fin qu’à Marsiho !
Mai Bouzigo, sei chivau e soun ai carrejavon subre-tout de téule. E dins lei quartié d’Ensen, de la terro argieiroue, lei téularié mancavon pas. N’en-r-avié à jabo.
Aqui si fasien de téule que partien puei dins lou mounde entié, pèr la plus grando fierta deis oubrié e oubriero de l’endré. Es pas raro de trouba au-jour-d’uei encaro sus lei cubert d’Australìo, d’Argentino o d’Asìo de téule signa dóu noum d’uno famiho dóu nord de Marsiho : Guichard-Carvin, Pierre frères, Joseph Fenouil, Roux, Roubaud, Rey, Sacoman, Mouraille…
Pau à pau, au siècle passa, lei fabrico an barra sei pouarto, lei téulié si soun recampa e vuei, rèsto plus qu’uno fabrico, à Sant-Andriéu : Roubaud 4, devengudo l’a gaire « Monier », filialo dei ciment Lafarge.
La mà ji-part dóu tèms, Bouzigo e soun ai cargavon de téule cue e se de gaire e lei carrejavon fin qu’ei pano dóu port de Mourrepiano mounte èron mai cargado sus de tartano que menavon à soun tour " l’or rouge d’Ensen " fin qu’ei gros batèu dei quèi de la Joulieto.
Bouzigo, paure mesquin, avié uno deco dei grosso, eimavo un pau tròu si rafresca lou siblet emé de vin clara. Souvèntei-fes, lou sero, après sa journado, s’arrestavo au cafè dóu vilà gi, lou Bar Camoin. L’ai counoueissié la musico. La bravo bèsti s’aplantavo e, sènso rena, esperavo aqui d’ouro de tèms soun mèstre davans la pouarto dóu tubet. Mai quand Bouzigo la fasié longo e que la fam lou curavo, l’ai perdié paciènço e s'enregavo tout soulet sus lou camin de l’estable. Lei gènt dóu quartié, abitua à -n-aquéu trin menavon grand brut :
– Tè, vè, l’ai de Bouzigo ! Soun mèstre dèu mai s’encigala. E qu la nourrisse la pauro bèsti ? - Bouto, s’acò duro enca’n pau n’en prendra l’abitudo de plus manja, fara uno boueno ecounoumìo pèr Bouzigo se soun ai s’acoustumo à juna !
La maire-grand, uno santo frumo que sabié l’us, chasque còup que vesié rintra l’ai tout soulet, regardavo sei felen d’un èr entendu (moun paire-grand e soun fraire) e li fasié :
– Pichoun, anas mi cerca vouestre grand-pèro à Camoin !
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Alor, Bouzigo, un enfant de chasque coustat que li servien de crosso, si recampavo riboun-ribagno, descendènt tout lou quartié en caminant de caire. Pèr pas prouvouca la coulèro de sa frumo e si fa passa dóu vin lou lourdùgi e lou mau de tèsto, avié un remèdi siéu : dins d’uno bassino grandarasso, mesclavo d’arcol à nouananto e d’aigo fresco. Si levavo sei frusco, e, aqui dedins si trempavo lei pèd. Après un quart d’ouro d’aquelo recèto, Bouzigo èro gai e fres coumo un pèis ! Mai dins d’aquéu tèms, soun ai, pecaire, degun li dounavo. Ero sus lou bouon camin pèr perdre l’abitudo de manja e si n’en manquè de rèn que ruississèsse…s’èro pas mouart avans.
Lei marrìdei lingo dóu quartié diguèron long-tèms, noun sènso irounié :
– Bouzigo a pas de chanço. A dreissa soun ai à plus manja e quouro èro à mand de ruissi, pèr còup de malastre, l’ai es mouart…
Coumo vous disiéu, d’aquelo istòri, n’en rèsto quaucaren à Sant-Andriéu. Sènso bèn saché perqué, de gènt dien toujour à prepaus d’un mouart :
– A fa coumo l’ai de Bouzigo.
E l’autre, se counoueisse l’istóri li respouende :
– O, s’es arresta de manja e es mouart...
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Fabian ROUMAN
Il n'est pas toujours très simple de connaître l'origine d'une expression. Les linguistes vous le diront. A Saint-André, mon quartier, j'ai toujours entendu dire pour parler de quelqu'un qui venait de mourir : " A fa coumo l'ai de Bouzigo ".
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– « Bouzigue ? », me dit un jour mon défunt grand-père, « mais c'est mon grand-père ! »
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L'histoire que voici est donc vraie. Je la tiens de mon aïeul. C'est un petit bout de vie de son grand-père... et de son âne.
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Marius, mon arrière-arrière-grand-père, né en 1867, était l’aîné d'une vieille et grande famille de Saint-André. Il avait un surnom qui lui venait Dieu seul sait d'où : Bouzigue. Bouzigo était charretier et il possédait dans sa bastide (une des plus importantes du quartier) quatre ou cinq chevaux et un âne : l'ai de Bouzigo.
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Dans sa tâche quotidienne, Bouzigue transportait de tout, de Saint-André à Mourepiane, de Mourepiane à l'Estaque, de l'Estaque à Saint-André. Parfois, un long voyage qui demandait toute une journée menait bêtes et charrette jusqu'à Marseille !
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Mais Bouzigue, ses chevaux et son âne transportaient surtout des tuiles. Et dans les quartiers du Bassin de Séon à la terre argileuse, les tuileries ne manquaient pas. Il y en avait à profusion.
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Ici, on fabriquait des tuiles qui partaient ensuite dans le monde entier, pour la plus grande fierté des ouvriers et ouvrières du coin. Il n'est pas rare aujourd'hui encore de trouver sur les toits d'Australie, d'Argentine ou d'Asie des tuiles signées du nom d'une famille du nord de Marseille : Guichard-Carvin, Pierre frères, Joseph Fenouil, Roux, Roubaud, Rey, Sacoman, Mouraille…
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Petit à petit, au siècle dernier les usines ont fermées leurs portes et les tuiliers se sont regroupés, tant et si bien qu'aujourd'hui il ne reste plus qu'une usine, à Saint-André : Roubaud 4, devenue il y a peu « Monier », filiale des ciments Lafarge.
La plupart du temps, Bouzigue et son âne chargeaient des tuiles cuites et tout juste sèches et ils les transportaient jusque sur les pannes du port de Mourepiane où elles étaient de nouveau chargées sur des tartanes qui menaient à leur tour "l'or rouge de Séon" jusqu'aux navires des quais de la Joliette.
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Bouzigue, pauvre bougre, avait un gros défaut, il aimait plus que de raison se rincer le gosier de vin rosé. Souvent, le soir, après sa journée, il faisait une halte au café du village, le Bar Camoin. L'âne connaissait la musique. La brave bête s’arrêtait là , et attendait des heures son maître devant la porte de l'estaminet sans renâcler. Mais quand Bouzigue était un peu trop long et que la faim le torturait, l'âne perdait patience et prenait tout seul le chemin de l'écurie. Chez les gens du quartier habitués à ce manège, les commentaires allaient bon train :
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– Tè, vè, l'ai de Bouzigue ! Son patron doit encore prendre du bon temps. Et qui la nourrit la pauvre bête ? – Allez, si tout cela dure encore un peu, il prendra l'habitude de ne plus manger, ce sera une bonne économie pour Bouzigue si son âne s'habitue à jeûner !
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La grand-mère, une sainte femme qui connaissait la chanson, en voyant rentrer l'âne tout seul regardait ses petits-enfants d'un air convenu (mon grand-père et son frère) et leur faisait :
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– Pichoun, allez me chercher votre grand-père à Camoin !
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Alors, Bouzigue, un enfant de chaque côté en guise de béquille, rentrait tant bien que mal traversant le quartier en faisant des zigzags. Pour éviter la colère de son épouse et pour faire passer l'abrutissement et les maux de tête dus au vin, il avait un remède bien à lui : dans une énorme bassine, il mélangeait de l'alcool à quatre-vingt dix degrés et de l'eau fraîche. Il lavait ses vieux habits et dans ce mélange trempait ses pieds. Après un quart d'heure de ce traitement, Bouzigo était frais comme un gardon ! Mais pendant ce temps, son pauvre âne, personne ne le nourrissait. Il était en bonne voie pour perdre l'habitude de manger, et il s'en manqua de peu qu'il ne réussisse... s'il n'eut pas trouvé la mort avant.
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Les mauvaises langues du quartier dirent longtemps non sans ironie :
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– Bouzigo n'a pas de chance. Il a élevé son âne à ne plus manger et alors qu'il était sur le point de réussir, par malchance l'âne est mort...
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Comme je vous le disais, il reste quelque-chose à Saint-André de cette histoire. Sans trop savoir pourquoi, quelques personnes disent toujours à propos d'un défunt :
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– il a fait comme l'âne de Bouzigo
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Et l'autre, s'il connaît l'histoire, lui répond :
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– Oh, il s'est arrêté de manger et il est mort...
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Fabian ROUMAN